Dimanche passé, j’étais assise dans le train quand, à l’une des stations, un grand homme noir de près de 2 mètres avec des cheveux locsés attachés en deux ponytails, un sur le haut du crâne et un à l’arrière de la tête, est entré et s’est assis de l’autre côté du couloir, me faisant face.
Avec les masques, on ne peut voir que le haut du visage. Mais nous nous sommes salués d’un hochement de tête, puis j’ai continué à tapoter quelques idées pour mes prochaines vidéos sur mon téléphone.
À la gare de Winterthur, il s’est levé pour descendre. Il a marqué un stop à mon niveau et m’a dit en français : “Madame, je ne sais pas si je me trompe. Je vous suis sur les réseaux sociaux. Je vous admire énormément, j’admire vos idées, et le courage avec lequel vous affronter les risques de votre combat. Merci pour tout ce que vous faites.”
Puis il a quitté le train, et il a disparu dans l’obscurité.
Je ne sais pas qui il est. Je ne connais pas son nom. Je ne sais pas comment il m’a reconnue (les cheveux, peut-être ?). Mais ses paroles m’ont rappelé quelle est la responsabilité qui est la mienne. Celle des espoirs de liberté, de dignité, de souveraineté et de prospérité de générations d’Africains disséminés dans les différents quartiers du continent qu’on appelle pays, ou dans la diaspora.
La lutte que je mène nécessite des combattants nombreux, audacieux et motivés. Un levier de motivation consiste à leur faire comprendre, ainsi qu’à nos alliés, les mécanismes qu’il faut détricoter et les réformes qu’il faut faire pour concrétiser les aspirations légitimes de millions de personnes.
“J’aurai pu en sauver des milliers d’autres, si j’avais pu les convaincre qu’ils étaient des esclaves” avait dit Harriet Tubman.
Mon but est d’expliquer au plus d’Africains possible que près de 200 années après l’abolition juridique de l’esclavage, 60 années après l’octroi de pseudo-indépendances supposées mettre fin à la colonisation, ils sont encore aujourd’hui en situation de servitude.
À la différence de nos aïeux, ils ne sont plus forcément obligés de porter des chaînes et de travailler torse nu dans les champs en se faisant fouetter par des blancs. Mais les chaînes sont là, jusque dans nos têtes, même si on porte de jolis costumes-cravates, de nyanga ensembles pagnes, des fringues modernes. Et les blancs n’ont plus besoin de tenir le fouet, puisqu’ils ont trouvé des bounty (noirs dehors, blancs dedans) qui le font avec encore plus de vigueur qu’eux-mêmes.
Nous sommes aujourd’hui les esclaves de nos états, et de ceux que les colons ont placé à leur tête pour nous maltraiter.
Avec le travail d’explication que moi et d’autres faisons, l’ignorance n’est plus une excuse. Il ne reste que deux camps: ceux qui ont choisi la servitude volontaire, et ceux qui se dressent pour casser les chaînes, à tous les niveaux et par tous les moyens nécessaires. Vous savez dans quel camp je me trouve. ✊🏽 Et vous?
Bon week-end.
Nathalie Yamb
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